Une enquête sérologique élucide le cas atypique de la fièvre Q en Guyane

Amériques | Asie-Pacifique
Actualités

Certains pathogènes présentent des formes asymptomatiques qui complexifient l’étude de leurs dynamiques de transmission et de leurs déterminants. Des chercheurs du Pasteur Network basés à l’Institut Pasteur de la Guyane et à l’Institut Pasteur (Paris), en collaboration avec le Centre hospitalier de Cayenne, se sont intéressés à l’incidence atypique de la fièvre Q en Guyane. Leurs travaux, publiés dans The Lancet Regional Health – Americas, estiment des risques d’infection élevés dans la population générale. Ils mettent en évidence le rôle important des animaux d’élevage dans la transmission.  

La fièvre Q, une zoonose peu symptomatique 

La fièvre Q est une zoonose causée par la bactérie Coxiella burnetii, une bactérie qui infecte une majorité de mammifères sur la plupart du globe. Les ruminants, principale source de contamination humaine, peuvent excréter la bactérie dans les produits de mise bas, les déjections, les sécrétions vaginales et le lait. La transmission se fait principalement par voies aérienne et se manifeste, chez l’Homme, par des signes cliniques dans seulement 40% de cas. Ces derniers, s’ils sont présents, sont généralement pseudo-grippaux et non spécifiques mais peuvent parfois être associés à une pneumonie, une hépatite et plus rarement, à des symptômes plus sévères, en particulier chez des patients présentant des comorbidités.  60 % des contaminations rapportées mondialement sont identifiées lors d’épidémies centrées autour d’élevages ou d’abattoirs infectés par la bactérie.

La Guyane, un cas particulier

La population guyanaise présente l’incidence la plus élevée de fièvre Q au monde. 24% des cas de pneumonie communautaire en milieu hospitalier lui sont imputés.  Néanmoins, les risques classiques d’exposition (abattoir ou élevage à proximité) n’étaient pas retrouvés chez les cas diagnostiqués : la plupart des patients hospitalisés venaient de France métropolitaine et logeaient dans la zone urbanisée de Cayenne et sa banlieue. Aucun réservoir sauvage n’ayant été clairement identifié, les études précédentes ont considéré que la transmission par le bétail était improbable.

Le caractère atypique de sa transmission combiné à une forte proportion de cas asymptotiques a complexifié jusqu’ici la compréhension de l’épidémiologie et l’élucidation des déterminants associés à la fièvre Q en Guyane. Afin de mieux comprendre sa dynamique de transmission et d’orienter les stratégies d’intervention en santé publique, des chercheurs du Pasteur Network, et des infectiologues du Centre hospitalier de Cayenne, ont collaboré pour conduire une enquête sérologique auprès de 2 700 personnes représentatives des différentes communautés de Guyane.

Le cheptel domestique, vecteur de la maladie

Les auteurs ont modélisé les données sérologiques classées par âge afin de reconstituer l’historique de la circulation de la bactérie dans les différentes régions du territoire. Leurs résultats montrent une circulation constante de C. burnetii sur toute la Guyane avec un nombre annuel de cas estimé à 579. 9,6 % de la population testée avait déjà été infectée et en particulier des hommes d’âge moyen et les individus vivant à proximité d’élevage. L’analyse des données a permis d’identifier une épidémie qui serait survenue entre 1996 et 2003 dans les communes de Rémire et Matoury. Cette dernière, ayant infecté 10 % de la population, explique la grande proportion de personnes porteuses d’anticorps contre C. burnetii dans la zone urbaine de l’Ile de Cayenne.

Ce travail collaboratif a permis de modéliser pour la première fois la dynamique de transmission de la fièvre Q en Guyane. La mise en évidence du rôle des animaux d’élevage domestiques dans un contexte de transmission importante de la bactérie milite pour renforcer les activités de surveillance et de réduction des risques dans les élevages de Guyane et souligne l’intérêt d’une approche « One Health » alliant un volet humain, animal et environnemental.

Les enquêtes sérologiques, des outils primordiaux

Ce type d’enquête sérologique à grande échelle avait déjà été conduit au Bangladesh pour la dengue ou encore pour la maladie de Chagas en Colombie. Elle permet de d’étudier un large éventail de facteurs contribuant à la lutte contre les maladies tels que les schémas de circulation des pathogènes, les niveaux d’immunité lié à la vaccination ou à une infection antérieure ou les potentielles zones d’émergences. Cette approche multi-factorielle et au rapport coûts/avantages très positive (si l’on rapporte le coût des analyses à la masse des données brassées/résultats de sortie) représente un outil très précieux à promouvoir auprès des organismes et autorités de santé publique.

Il est proposé que cette méthodologie soit réutilisée par les membres du Pasteur Network dans le cadre d’une phase 3 du projet ECOMORE impliquant le Cambodge, Laos, Philippines et le Vietnam, en collaboration avec l’Institut Pasteur, à Paris pour lequel des financements sont encore recherchés. En effet, son utilisation permettrait d’améliorer la compréhension de l’historique de circulation d’une multitude de pathogènes (virus, bactérie et parasites), représentants un enjeu de Santé Publique pour ces pays, et de l’épidémiologie de leurs maladies associées afin de proposer des interventions adaptées aux autorités de ces pays.


Pour aller plus loin :

Transmission dynamics of Q fever in French Guiana: A population-based cross-sectional study
The Lancet Regional Health – Americas, octobre 2022.
Sarah Bailly, Nathanaël Hozé, Sylvie Bisser, Aurélien Zhu-Soubise, Camille Fritzell, Sandrine Fernandes-Pellerin, Adija Mbouangoro, Dominique Rousset, Félix Djossou, Simon Cauchemez, Claude Flamand‡*.
†, ‡Ces auteurs ont contribué à parts égales à ce travail.
* Auteur correspondant.
DOI : https://doi.org/10.1016/j.lana.2022.100385

Pour citer cette actualité:

Une enquête sérologique élucide le cas atypique de la fièvre Q en Guyane

Pasteur Network